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Les deux visages de l'agroforesterie

Les deux visages de l'agroforesterie

Quelles différences entre l'agroforesterie française et l'agroforesterie américaine de Mark Shepard ?

En France, l'esprit français et la politique favorisent certains choix et pas d'autres. En Amérique, l'esprit d'entreprise est très fort, et celui qui veut proposer un changement peut le faire plus facilement, il aura beaucoup moins de bâtons administratifs dans les roues.

En France, l'agroforesterie a reçu une petite impulsion de la part de l'état et a pu se développer sur un modèle très basique... trop basique de mon point de vue de permaculteur-designer. L'agroforesterie se résume, telle qu'elle est présentée dans le livre de référence Agroforesterie de Christian Dupraz et Fabien Liagre, par des plantations linéaires d'arbres au milieu des cultures. C'est un bon début, mais je regrette que ce système ne soit pas un peu plus complexe.

Parmi ces arbres au milieu des cultures, il est une manière de les présenter comme un "capital" investi à long terme ou à léguer à ses enfants. En effet, 30 ans après avoir planté les arbres, on peut les abattre pour vendre les billes. Cela rapportera plusieurs centaines d'€ par billes vendues en fonction de l'essence.

Que ferait un permaculteur pour suivre ce modèle ?

Il planterait des arbres offrant plusieurs fonctions : des fonctions directes (fruit, fourrage, bille de bois, BRF) et des fonctions secondaires (refuge à biodiversité, création de microclimat, brise-vent, conditionneur de sol, propriété médicinale, etc.).

Mais la plantation d'une strate supérieure seule peut paraître trop limitée aux yeux des permaculteurs, qui aimeraient voir un aménagement multi-strates (strate inférieure avec les cultures herbacées, strate supérieure avec les arbres et strate intermédiaire avec tout ce qu'on peut intercaler pour occuper l'espace et le volume sans nuire à la quantité de lumière reçue par la strate inférieure).

En gros, un aménagement permacole en agroforesterie commencerait par des lignes diversifiées d'arbres fruitiers, au bois précieux et aux feuilles servant de fourrage (mûrier, poirier, pommier, prunier, noisetier, châtaignier, cerisier), avec des arbustes ou arbrisseaux fruitiers intercalés (tous les rubus et autres plantes à baies comestibles). Et entre ces lignes, le paysan cultiverait en plein champ, de la céréale, des légumes...

Mais pourquoi peu d'agriculteurs se lancent dans ce modèle complexe et très productif ?

Tout simplement parce qu'il impose une surveillance et une maintenance accrues. Certes ces systèmes sont plus productifs, mais il demandent au paysan d'être plus près des cultures, plus présent. La maintenance à fournir va pour la récolte mais elle doit aussi se faire pour contrôler la végétation, afin que les strates intermédiaires et supérieures ne prennent pas le dessus sur la strate inférieure... la taille s'impose, et c'est du boulot !

C'est là que l'américain Mark Shepard a judicieusement mis à contribution ses animaux d'élevage. Leur fonction secondaire est : tailler les arbres et fertiliser les cultures (leur fonction principale est de fournir viande, œuf ou lait). Le gros avantage de cet élevage, c'est que les animaux se nourrissent par eux-mêmes grâce aux plantations. Et bien entendu, l'accès au plantation est conçu pour que les animaux ne ruinent pas les plantations.

En gros, c'est un modèle où l'on maximise la production par unité de surface, mais où le temps de travail est accru.

C'est quand même gagnant au final car le travail investi est plus productif, plus rentable que sur une exploitation basique.

Avec un tel modèle d'agroforesterie multi-étagé couplée à de l'élevage, un agriculteur pourrait, avec 2 ha de terre, faire vivre sa famille avec le salaire de ses ventes et l'auto-production.

Mark Shepard, auteur du livre Agriculture de régénération a mis en place un tel système (il a même fait encore mieux mais je peux pas tout raconter dans cet article...) sur 42 ha. En plus de créer une ferme productive, il a également mis en place un agrosystème écologique qui a régénéré son écosystème. Et pour gérer une telle surface (42 ha ça peut paraitre peu pour un agriculteur adepte de la monoculture, mais pour une permaculture aussi complexe c'est beaucoup), il a tout simplement embauché des collègues. Il a créé des emplois (tout comme Joël Salatin, auteur du livre You can farm, considéré comme le meilleur agriculteur du monde et qui a une ferme encore plus grande...).

Pour en revenir à l'agroforesterie à la française, il faut considérer une chose : ce n'est pas que les français ne veulent pas développer une agriculture intelligente et productive (bien au contraire, les agriculteurs sont de bonne volonté à part quelques cas particuliers) en se mettant à appliquer les bonnes stratégies utilisées en permaculture, mais c'est que le citoyen agriculteur de base est enchaîné à un système étatique et culturel qui lui complique drôlement et méchamment la tâche s'il veut changer ses pratiques (au niveau des aides financières, des règles, des cahier des charges, de la commercialisation, du regard des pairs, des investissements, des crédits à rembourser...). Culturellement, il faut aussi considérer qu'en France, notre esprit est configuré pour trouver une solution à la fois, pour un seul problème. Réfléchir et mettre en place des solutions globales qui résolvent tous les problèmes en une fois ne fait pas parti de notre façon de penser.

C'est à mes yeux pour cela que l'agroforesterie française est restée basique : pour être une première étape, une première petite marche pour aller vers autre chose.

Choisir le sens des arbres

L'agroforesterie à la française est aussi conditionnée par les habitudes des tracteurs : ils circulent dans le sens de la pente. Donc si le champ est pentu, les lignes d'arbres seront bien souvent implantées de haut en bas. Mais si le terrain est plat (ou quasi plat) les arbres seront implantés dans le sens le plus évident pour faire circuler les machines, c'est-à-dire dans la longueur du champ.

Chez Mark Shepard, les lignes d'arbres sont implantées en suivant les courbes de niveau. Ce choix est induit par le design en ligne clé qu'il a posé sur son agrosystème et qui sert à récolter toute l'eau de pluie. Vu du ciel, cela donne un résultat esthétique, mais il est avant tout fonctionnel.

Les livres ressources

Aujourd'hui, le livre Agroforesterie de Dupraz et Liagre constitue toujours un ouvrage unique et de référence pour celui qui voudrait planter des arbres dans ses champs. C'est le seul livre qui fournit toutes les études et simulations chiffrées pour montrer l'impact des lignes d'arbres au milieu des cultures (impact sur les rendements, le sol, les services écologiques...).

Quant au livre Agriculture de régénération de Mark Shepard, il s'agit du seul livre qui présente une exploitation agricole de taille moyenne pensée complètement en permaculture et qui en détaille le fonctionnement. Ce livre intègre les éléments qui me paraissent personnellement faire toute la différence entre une exploitation pour la production et une exploitation pour la production, la régénération et la résilience, à savoir :

  • un design pour récolter l'eau ;
  • une intégration complète des plantes vivaces (arbres principalement) en strates de culture diversifié ;
  • des élevages gérés en meneur-suiveur et pâturage cellulaire, et qui sont directement utiles aux cultures ;
  • une autonomie énergétique ;
  • des productions multiples et un système de commercialisation local et citoyen.

Faire un/plusieurs pas

Pour finir cet article, je vous invite tout simplement à considérer que faire un pas, c'est bien, et que faire plusieurs pas, c'est bien aussi. Chacun doit y aller à son allure.

Ce qui est sûr, c'est que les arbres sont et resteront des merveilleux alliés pour l'agriculteur, tout comme les animaux d'élevage, et cela tant qu'on leur réservera une place où ils pourront exprimer leur nature.

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